Le voyage de Takoumi

Saison 3

Les divagations de Manuela

J1 (mercredi 30 décembre 2015)
Ce que nous n’avions pas prévu déchirer le génois le premier jour
Ce que nous avions prévu : le heavy duty sail repair et le speedy stitcher en cas de pépin ! Décider de se lancer dans la traversée dans ces circonstances paraît gonflé et pourtant tout est question d’analyse de risque etc. Choses que je ne pensais plus faire en quittant mon travail et je n’ai jamais autant travaillé depuis!
Quant à la logistique à bord je sais déjà que je n’avais pas prévu les vagues constantes que nous subissons si bien que je regrette déjà le manque de simplicité de certains plats que nous comptions déguster en navigation. Mais nous n’en sommes qu’au début donc réserverai mon jugement. Pour l’instant, les repas sont sportifs et le but est de les simplifier et écourter au maximum afin de retrouver un minimum de confort.

J2: nous nous accoutumons plus vite que lors de la dernière traversée – mais réalisons que nous n’allons pas voir grand chose qui vit pendant longtemps…a part des centaines de poissons volants bien-sûr ! J’adore regarder la mer mais je me demande ce que j’en penserai dans 8 jours……..
Tâche quotidienne : ramasser les poissons volants échoués sur le pont – Olivier s’occupe du pont bâbord et moi de tribord jusqu’à présent. Je n’arriverai jamais à m’y faire chaque fois que je tombe nez à nez avec cette petite bestiole par surprise le matin au réveil !
La navigation s’est bien passée aujourd’hui et l’alternateur d’hélice nous a bien aidés pour éviter de mettre le moteur en route pour charger nos batteries. Néanmoins, comme nous « sous-toilons » la nuit aussi avons quand même dû le faire marcher 2 heures, au deuxième jour de traversée…j’espère que ça ira, nous n’avons du gasoil que pour faire un tiers du chemin cette fois….Demain nous devrions charger avec le générateur pour la première fois.

Repas de 31 super mais j’oublie de temps à autre que nous sommes passés en 2016. Nous avons bu un ou deux verres mais nous sommes plus attentifs à la navigation et aux contraintes de sommeil et de marche du bateau que 100% à la fête – bien que nous ayons réussi a nous prendre au jeu une heure ou deux. Ensuite dodo – avant le passage en 2016 pour tout vous dire. Le meilleur moment de notre soirée est quand nous allumons la bombe de table dans le cockpit juste après le coucher du soleil. Des petits cœurs et cotillons sont à présent collés sur les tauds latéraux du cockpit et nous font penser aux amis qui nous manquent et que nous imaginons en train de fêter cette fin d’année! Merci Myriam et Stéphane d’avoir pensé à nous faire embarquer cette petite bombe qui a eu son effet (film).

J3 – Jour de l’an
Nous ne sommes pas prêts de l’oublier celui-ci – la journée avait très bien commencée. Mine de rien nous avions adapté les festivités à nos horaires de quart et avions donc bien récupéré de la première nuit qui est toujours difficile. C’est ainsi que je me suis couchée juste avant minuit en France après avoir souhaité une très belle année à Olivier avec un petit quart d’heure d’avance. De toutes façons nous décidons de l’heure depuis notre départ sachant que nous allons traverser 4 zones. En quittant Mindelo (UTC -1) nous nous sommes calés sur l’heure UTC, l’heure que la pendule de Takoumi affiche à bord. Dans quelque temps nous nous décalerons d’une heure par-ci par-là pour arriver en Martinique en UTC-4.
Donc, bien dormi et d’attaque! Mais la journée se solde par beaucoup d’inquiétude et de bricolage. En effet, c’est la charge des batteries que nous tentons de maîtriser et le générateur testé fait des caprices de surcharge. Lorsque nous trouvons enfin une solution (que l’on ne comprend pas pour le coup mais qui marche…), ben il n’est pas très efficace et fait un tel barouf que nous ne l’utiliserons qu’en cas d’urgence! Ensuite, petite pannette ( petite petite panne, pas nette) découverte sur l’alternateur d’arbre qui plus est – mais c’est vite réglé ouf, il charge à nouveau!
Deuxième (ou troisième?) problème beaucoup plus stressant une fuite d’huile sur le moteur (Neco) du pilote auto. Alors là on est mal s’il rend l’âme – nous cherchons, cogitons et finissons par sceller le boulon qui semble suinter. Pas très satisfaisant mais si ça marche nous sommes contents. Sinon comme le disait Alain (formateur de la grande Motte) « Yaka démonter, t’as pas l’choix » – après tout c’est un moteur même s’il est bien différent d’un diesel marin, le sujet de notre formation.
Avec tout ça nous n’avons pas pu nous reposer de la journée et sommes déjà crevés. Repas du soir, menu de bébé – c’est-à-dire jambon moulu, et coquillettes à l’emmental – que nous ne trouvons pas à Mindelo donc nous râpons du Gouda. C’est différent. Juste avant de servir je vois quelques petites bêtes en surface de l’eau des pâtes (un reste d’Italie). Honnêtement, il est trop tard pour refaire à dîner, qui plus est nous ne souhaitons pas gâcher deux portions de pâtes au début du trajet…Bref, nous les enlevons dans nos assiettes, enfin celles que l’on voit et mangeons très vite. Je crois que nous commençons à relativiser…
Nous avons eu entre 20 et 30 nœuds de vent toute la journée et cette nuit, le vent est descendu en dessous de 15 nœuds, les vagues se sont calmées une heure ou deux. Ça repose au début mais vite, je me surprends à souhaiter plus de vent pour avancer décemment et charger sans avoir à allumer le moteur. Néanmoins je viens de finir de lire la Vie en Mieux d’Anna Gavalda qui me laisse emplie de positivité. Après La Traversée de Philippe Labro ça m’a quelque peu remonté le moral. Bien qu’il ne s’agisse pas de la même, en parlant de Traversée, il y a de quoi devenir psy ou philosophe durant les heures « creuses » de notre périple. Je réfléchis régulièrement à ce qui est important, ce que je suis sans doute inconsciemment en train d’apprendre ou de comprendre au cours de ce voyage. Des mots me viennent à l’esprit que je veux retenir et noter avant de les oublier:
L’équilibre – on le cherche sans cesse dans la vie et bien, il devient vital en mer au long cours – l’équilibre du bateau pour sa bonne marche, notre bonne forme sans quoi nous ne pouvons pas bien l’équilibrer, qui passe par notre équilibre mental et physique, qui dépend de l’équilibre de notre hygiène, sommeil, de nos ressources telles que l’eau et la nourriture, etc. Enfin, l’ambiance à bord est importante – si nous déprimons tous les deux en même temps concernant la dernière pannette, ça ne marche pas. Il nous faut garder le courage et la volonté de surmonter les obstacles et pour cela, nous créons une espèce d’harmonie à bord que je trouve essentielle.
Préserver est devenu ma priorité de chaque instant – d’abord nous préserver, en second lieu le bateau.
L’instant, le moment, maintenant – j’ai souvent cité le livre intitulé « the Power of Now » dans mon boulot (sans jamais l’avoir lu, je peux vous faire cette confidence) mais n’êtes-vous pas d’accord que l’instant présent dans l’aventure est primordial? Il faut s’adapter au mieux à des circonstances très changeantes et variables soudainement. Bien qu’épuisé il faut quand même trouver la ressource pour aller réduire les voiles quand les vagues se mettent à déferler, le vent à tout soulever! C’est là que la discipline entre en jeu, un peu comme le service militaire qui bizarrement ouvre l’esprit de certains jeunes épars à l’ordre, au devoir, qui apprennent des automatismes sensés les aider à survivre en cas de véritable conflit. Évidemment dans une caserne au fin fond de la Sarre, ça paraît stupide et réducteur mais en mer, je trouve que ces principes s’appliquent assez fréquemment. Pourquoi ne pas proposer un service nautique à nos jeunes à la sortie du lycée? Un service survie également à la Koh Lanta en moins stupide pour que cela ne ressemble pas a un mélange de colonie de vacances et reality show. Je le pense parce que j’ai suivie au moins 4 saisons, comme beaucoup de français…Bref, la mer au longs cours rend un peu psy et philosophe…ou simplement barjo nous verrons bien dans quelques semaines.

J4 (samedi?)
RAS si je puis dire, notre première journée de bulle. Vent stable, bonne vitesse de croisière et nous avons dû nous habituer aux vagues qui ne nous dérangent plus. Les repas sont toujours un moment chaotique mais nous avons changé de stratégie en nous installant dans le carré à la gîte. J’ai même tenté de cuisiner ce soir (carottes et pommes de terre aux ognons et à la crème à la cocotte minute…) mais j’avoue être exténuée après un tel numéro d’équilibriste. Nous enroulons le génois vers 22h en prévision de la nuit (plutôt ventées par ici) mais je n’ai pas encore trouvé le moyen d’enrouler sans devoir forcer au-delà de mes capacités physiques par 20-30 nœuds. Il s’agît de trouver le point d’équilibre du génois pour qu’il faseye suffisamment mais pas trop, afin que l’enrouleur vienne sans trop forcer – mais un peu quand même. Bel exemple de l’importance de trouver l’équilibre…Nous ferons d’autres entraînements demain de jour pour que j’y arrive enfin. Dormir ce soir sera un challenge, le vent et les vagues ont forci et le bateau est très secoué. D’ailleurs nous nous n’avons vu aucun dauphin depuis notre départ et pensons que la grande houle et les déferlantes, ce remous incessant en sont la cause. Pas tellement d’oiseaux non plus mais des poissons volants tout le temps! Mais ça je vous l’ai déjà dit je crois?

J5 (dimanche, j’ai vérifié !)
Grande fatigue aujourd’hui – je me suis levée en comprenant mieux ce que Georges, rencontré à Taormine, voulait dire quand il nous conseillait sur la transat de dormir dès qu’on pouvait. En fait c’est parce que la plupart du temps, tu ne peux pas dormir! La nuit dernière la mer était comme des montagnes russes et je ne m’endormais qu’entre deux tours de manège. Les vagues semblent régulièrement attaquer Takoumi – BAAM sur bâbord, BAAM sur tribord et par dessous la coque! Les alizés soufflent en permanence entre 20 et 30 nœuds et semblent maintenant un peu plus faibles le jour. La journée est assez agréable d’ailleurs mais comateuse…Olivier fait tout pour maîtriser la fuite d’huile de « Neco » qui continue de nous embêter. En revanche nous n’avons pas remis le moteur en route depuis plus de 24h grâce à l’alternateur d’arbre et notre vitesse – il charge à merveille – pourvu que ça dure! En fait, notre vitesse moyenne est d’environ 5,8 nœuds sur les 5 derniers jours – ce qui est beaucoup par rapport à nos navigations précédentes (4,7). Nous avons déjà parcouru plus d’un quart du chemin mais c’est encore bien trop tôt pour en conclure que nous mettrons moins de 3 semaines – nous pouvons rencontrer des grains, ou pétole et perdre du temps sur les 3/4 restants bien qu’on ne le souhaite vraiment pas.
Nous sommes fatigués mais sereins, vigilants car les conditions ne sont pas de tout repos, ce qui est bien en mer – d’être vigilant, pas les conditions pourries comme dirait Olivier. Pour l’heure notre seule véritable angoisse concerne le pilote auto et cette fuite donc nous commençons à penser au possible système D au cas-où. Il vaut toujours mieux être préparés au pire avant qu’il n’advienne n’est-ce pas. Les scénarios catastrophe ne manquent pas pour alimenter quelque unes de nos discussions durant la journée – juste histoire d’être prêts – au cas-où. Cela doit paraître un peu stressant n’est-ce pas? Je confirme mais nous étions prêts à cela… juste moins au fait de n’avoir pas encore vu un seul dauphin, ne pas pouvoir buller un peu plus souvent et les repas séance de sport en salle abdos – fessiers! Cela-dit, prendre nos repas à la gîte nous soulage les muscles, la musique et la lecture nous tranquillisent et demain, si l’état de la mer le permet, je recommence à pêcher!

J6
Bon eh bien je pêcherai plutôt demain…journée mouvementée comme d’habitude si je puis dire. J’ai aperçu un grand oiseau blanc avec le bec orange courbé qui nous tournait autour en espérant qu’il se joigne à nous mais il s’en est allé….Pas assez confortable je pense, je lui souhaite d’avoir trouvé un cargo sans doute plus luxueux pour sa traversée. A ce sujet nous n’en avons vu aucun de cargo, juste aperçu une trace AIS éloignée sur le traceur. En réalité tu as très peu de chance de croiser d’autres bateaux pendant la traversée aussi on veille le temps, les vagues plutôt que la circulation. S j’osais je dirais que nous veillons au « grain » mais l’expression a déjà été détournée…Je ne sais pas si vous l’avez remarqué mais la traversée ne se fait que dans un sens…c’est une réflexion bête peut-être mais je n’en ai eu pleinement conscience que le troisième jour après notre départ. Je m’explique: à J1 quand nous déchirons notre génois nous sommes à 23 miles de Mindelo et seulement 8 du mouillage le plus proche sur l’île de Santo Antao. Nous pouvons encore rebrousser chemin et réparer « à terre ». Mais à J3 quand l’alternateur et le pilote montrent des signes de faiblesse il est déjà trop tard, nous sommes presque à 400 km de la côte. Espérer remonter au vent des Alizés qui soufflent rarement en dessous de 20 nœuds et jusqu’à 30-35 nœuds depuis notre départ n’est même pas envisageable compte-tenu des vagues. Là j’ai soudain eu conscience que nous allions aller au bout de cette traversée – d’une manière ou d’une autre! A la veille de la fin de la première semaine de navigation la réparation du génois tient très bien, le pilote bosse dur et assure pour l’instant, même si nous nous attendons à devoir l’aider le moment venu. Je pense donc que nous avons bien fait de ne pas rebrousser chemin le premier jour, mais surtout, que nous avons eu beaucoup de chance que cela nous arrive alors que nous étions encore sous le vent de la dernière île du cap vert pour faire une réparation à même le pont pendant 2 heures sous moteur. Je n’ose pas imaginer la même chose maintenant – je touche du bois!! Par chance il y en a plein à bord mais je me dis plutôt que cette expression doit venir du milieu maritime? Il faudra que je la recherche quand nous serons à nouveau à terre.
Je pense à mes frères cette nuit, l’un pendant ma pause rituelle de demi-quart pendant laquelle je mange mes oreo cookies ( trempés dans du lait pour ma part, c’est un délice !) et l’autre parce que nous apercevons un cargo à l’AIS qui se rend à Wilmington où il vit. Vers 5h30 j’ai reçu un SMS de mon père qui m’a fait sourire – il y est justement en ce moment à Wilmington…
Quart de quoi d’ailleurs, un demi quart n’a jamais fait 2 heures?? Encore quelque chose à rechercher « de retour sur terre »….ah si nous avions internet au moins je n’écrirais sans doute pas toutes ces broutilles ?!!!!

L’ennui à bord, c’est une bonne question concernant la traversée – je ne peux pas dire que je m’ennuie parce que nous sommes en veille constante donc avons une occupation à tout instant. Mais la veille c’est un peu comme surveiller des gamins en permanence j’imagine. Il ne se passe pas toujours quelque chose mais on ne peut pas non plus laisser une ribambelle de jeunes ou jeunes enfants seuls très longtemps sans ce semblant de surveillance. Cela ressemble à de l’ennui dans ces moments creux ou il ne se passe rien. Mais je surveille les vagues pour qu’elles n’en profitent pas pour envoyer Takoumi de travers, le vent pour qu’il ne dévente pas mon génois, et l’heure pour me motiver en attendant la relève qui s’avance. Olivier et moi convenons que lorsque nous nous relevons l’un l’autre c’est « libératoire » – mais ça c’est parce que l’on rêve de se rendormir quelques heures, non pas parce qu’on s’ennuie. Je dirais même que la veille est assez fatigante et que dans cette traversée bien particulière elle s’avère assez intense. Je crois que je vous l’ai déjà dit mais…vraiment, Rien n’est bien stable, bien au contraire le vent varie toutes les secondes de plusieurs nœuds, les vagues viennent de derrière de travers et nous soulèvent sans raison apparente. Et tu passes ton temps à observer et analyser tous ces facteurs pour équilibrer ton bateau, enfin essayer…bref, je ne pense pas que nous nous ennuyons beaucoup finalement.

J7
Le vent tombe en dessous de 20 mais les vagues sont toujours imposantes. Nous sommes fatigués sur Takoumi. Alors nous nous occupons entre deux siestes et deux quarts (qui font un demi). Journée cuisine – salade de riz le matin et quatre-quart dans l’après-midi (c’est un gâteau, rien avoir avec la navigation :). Nous n’avons plus d’œuf à présent faute d’en avoir débusqué à Mindelo (très prisés pendant les fêtes de fin d’année !). J’ai terminé un premier roman d’Agnes Ledig que je ne connaissais pas, divertissant mais loin de la joliesse des mots d’Annna Gavalda. Dans la soirée je commence le premier livre de poésie écrit par mon ami Américain Rob. Je les gardais pour la traversée donc me réjouis de les commencer. Alors que nous voguons sur l’océan, Rob se promène en Asie en ce moment.

J8
Enfin les vagues s’estompent et m’autorisent à pêcher! Qu’à cela ne tienne, avant le déjeuner je remonte un beau spécimen de 39 cm, ce sera parfait pour le dîner. Le vent est encore tombé et nous allons bien moins vite mais le calme revenu nous repose un peu. Bien que nous trouvons que nous nous traînons… La vitesse faible ne permet plus de charger les batteries grâce à l’alternateur d’arbre donc nous remettons le moteur en route sous voile pendant 2 heures. Première fois depuis 5 jours, c’est pas mal! Et premier apéritif sur le pont depuis notre départ. Il commence à faire chaud. Le soleil se couche vers 21 UTC. Le poisson s’avérera vraiment délicieux et repus, moyennement secoués, nous dormons beaucoup mieux cette nuit.

J9
Je n’ai pas noté quand il a commencé mais le mauvais temps nous a rattrapés. Le calme n’aura pas duré assez longtemps à notre goût et nous passons une nuit très mouvementée. Pas moins de 3 grains avec des pointes de vent à 35 nœuds. Les voiles sont réduites et tout se passe très bien, presque confortablement mais mes doigts sont fripés comme si j’étais restée trop longtemps dans mon bain…il y a pourtant longtemps que je n’ai pas pris de bain, il me semble que le dernier remonte au matin de notre mariage! Le temps ressemble à ce jour-là d’ailleurs. Heureusement il fait bon et nous séchons entre deux averses. Je ne pêche que des algues depuis 2 jours et la motivation baisse un peu avec la fatigue néanmoins, « demain est un autre jour » comme dit Olivier.

J10
La nuit qui a suivi était peu agitée et nous avons fait route au moteur plusieurs heures au lieu des 2 heures prévues pour recharger les batteries. C’était trop calme n’est-ce pas? En effet à 4 heures du matin, le pilote décide de s’arrêter! Je commence à peine mon quart et me vois déjà devoir barrer pendant 4 heures. Pas facile et source de torticolis d’après mon expérience. Coup de chance ou bonne préparation: nous avons le relai de rechange qu’Olivier installe en trois minutes chrono et le problème semble réglé. Avec le recul je pense pour ma part que cette panne datant du passage du détroit de Messine – en Août je crois était une chance pour nous de bien nous préparer pour cette traversée…et les mois de navigation côtière sont irremplaçables pour bien connaître et maîtriser (quand on peut) un bateau de 35 ans avant une grande étape.

J11
Les grains semblent définitivement avoir laissé leur place à la pétole entrecoupée de minces accélérations du vent en dessous de nuages. Nous avançons doucement doucement peut-être pour commencer à nous acclimater à notre prochaine destination, qui sait ? Depuis ce matin la tenue obligatoire est le maillot de bain sous un soleil de plomb. Nous mettons même le taud de soleil pour profiter du cockpit à l’ombre. Il fait 30 degrés dans notre cabine au moment de la sieste mais nous pouvons enfin ouvrir les hublots fermés jusque-là pour nous protéger de beaucoup d’humidité.
J’ai ferré un poisson qui s’est décroché à quelques mètres du bateau….navrant! Ensuite des algues, encore et toujours des algues!! Nous devrions véritablement apprendre à les cuisiner.
En effet, nous voyons des nappes d’algues sur l’océan qui prend alors des teintes oranges, parfois rouges au sein d’un bleu intense. C’est assez étonnant. Les nuages se dissipent au cours de la journée et nous pouvons voir le soleil se coucher – enfin! S’ensuit une nuit calme et très belle. Et notre sommeil plus serein. Il fait bon de récupérer un peu malgré notre meilleur score de lenteur. Quand au bateau, un problème laissant place à un autre, nous avons des soucis de recharge de batteries plus sérieux depuis hier, qui nous contraignent à mettre le moteur en route plusieurs fois par jour sous voiles. Nous espérons que ce ne sont pas les batteries elle-mêmes et pouvoir recharger plus facilement dès qu’il y aura du vent – ce qui n’est prévu que mercredi malheureusement. La seconde moitié de la traversée s’annonce bien plus longue. Ceci dit nous sommes plutôt bien alors rien ne presse finalement.

J13
Le calme annoncé ce fût une très belle journée – comme une récompense, nous avons profité de l’absence de vent, de vagues et donc de vitesse pour faire un « mouillage » en plein océan! Grisant!!! Nous nous sommes mis à la cape en laissant dériver Takoumi, et nous sommes jetés à l’eau (un bout à la main par sécurité) deux fois dans la matinée. Et à force de pêcher des algues, eh bien je réussis non sans peine à ramener une magnifique dorade ou mahi-mahi de 64cm en fin d’après-midi. Nous dînons « comme à la maison » et apprécions grandement le sashimi accompagné de riz basmati. J’avoue que ce moment est fantastique. Mais la météo change peu à peu et malgré un vent faible, nous vivons une autre nuit de grains…

J14
Un peu plus de farniente et de détente nous aurait convenu….mais non, la mer n’est franchement pas belle aujourd’hui et je suis fatiguée par la nuit sportive. Le vent changeait toutes les 5 minutes et nous étions souvent au près serré avec des vagues de travers. Je n’aime pas cette allure, je trouve la navigation inconfortable. Les vagues sont trop fortes par rapport à notre vitesse. Jour sans pour moi…mais j’aurai quand même l’occasion de voir un bel oiseau noir immense pêcher les poissons volants. Le soir venant, la mer se calme un peu et le coucher du soleil est au rendez-vous. Je me surprend à cuisiner avec plaisir quand les conditions me le permettent à bord. Un repas frais après deux semaines de traversée est un vrai bonheur qui plus est. Il ne nous reste que des pommes de terre, des oignons, de l’ail et des citrons verts mais tout cela agrémente parfaitement le mahi mahi aux amandes en papillote pour notre dîner. Je commence également à soupçonner que je ne perdrai pas un kilo d’ici notre arrivée…Nuit sereine, nous avançons bien une grande partie de la nuit et c’est l’occasion pour moi d’écrire à nouveau après une panne d’inspiration de deux-trois jours…

J15
Voilà deux semaines que nous sommes en mer et nous avons une sacrée organisation que nous continuons d’améliorer. C’est étrange de vivre côte à côte dans un espace aussi réduit tout en se croisant, en faisant chacun notre vie séparément la plupart du temps. Notre relation diffère selon le moment de la journée, co-capitaines pour les manœuvres, les quarts de veille – et de sommeil que nous défendons, les taches quotidiennes de vie à bord, amis pour la pêche, les jeux ou les discussions de livres que nous sommes en train de lire, et conjoints attentionnés et « caring » pour tout le reste. Nous sommes contents de ne pas avoir embarqué d’équipiers car c’est riche mais déjà compliqué à deux et nous n’aurions pas vécu tout ça ensemble de la même façon.
Ce soir nous avons trinqué au passage des derniers 300 miles sur 2100 environ. Je suis motivée par la perspective d’arriver mais essentiellement pour pouvoir dormir quand et le temps que je veux. Après avoir récupéré un peu, je pourrais envisager une certaine excitation concernant le reste – les tropiques, coraux et poissons palettes, chaleur, rhum et petits punchs, mais aussi, nouvel endroit, nouveaux codes et fonctionnement à déchiffrer, le linge, le bateau, le marché, le tourisme…). Petite note au sujet des déchets dont il faudra s’occuper en arrivant à terre, nous sommes effarés par la quantité d’emballages, bocaux, boîtes etc. A ce jour nous avons 30 litres de déchets ménagers pour plus de 40 litres d’emballages. C’est une catastrophe cette folie des emballages, et je pourrais vous écrire un chapitre sur leur qualité variable testée dans cet environnement extrême – humidité, chaleur, vent etc. Ça vaut également la peine d’en enlever un maximum avant de traverser si on manque de place.
Quant à aujourd’hui, RAS, un peu…puis plus…puis plus (+)…de vent. Plutôt tranquille.

J16
Il y a eu plusieurs paliers durant les jours, semaines de traversée qui altèrent à la fois notre moral et notre tranquillité d’esprit:
Le premier palier important est quand nous sommes trop loin pour rebrousser chemin – après quelques jours et à seulement 15% du chemin….c’était une évidence bien que sans le choix, vous pouvez toujours essayer…moment inquiétant.
Le milieu….c’est le moment où nous avons commencé à avancer vers notre prochaine escale plutôt que de nous éloigner de la dernière. Moment super important psychologiquement, un tournant définitif – moment un peu rassurant, tu commences à y croire.
Les derniers milles, tu te prépares, redoutes l’arrivée et touches du bois toute la journée en te rappelant qu’en mer tu n’es pas arrivé avant d’avoir posé l’ancre ou avant d’avoir débarqué à quai. Bien que tu tentes de ne pas y penser, une certaine relâche se ressent à bord, on attend, et on passe sur la taille des vagues ou les conditions météorologiques qui il y a dix jours impressionnaient. En fait, nous sommes crevés également alors nous essayons de dormir un maximum en attendant. C’est une peu démotivant cette ambiance sur fond de demi-conscience que nous vivons « un truc de dingue » qui va bientôt s’achever. Je vous en dirai plus plus tard maintenant 🙂

RAS depuis hier, journée en demi-teinte question météo pour avancer convenablement mais rien de particulier. Un poisson que j’imagine gigantesque a réussi à couper ma ligne – adieu le dernier leurre de taille raisonnable…je pêcherai encore demain avec un leurre un peu plus grand en tentant d’éviter les algues…Les grands absents, les dauphins nous manquent beaucoup depuis le départ de Mindelo mais je continue de scruter l’océan pour en apercevoir…à défaut, le début de la nuit était enfin éclairé par un joli croissant de lune à l’horizontal – et je reconnais de plus en plus de constellations – toutes à l’envers pour moi, qui se déplacent de la poupe à la proue de Takoumi au fur et à mesure que la nuit se déroule. Nous avons quand même croisé et vu un cargo à moins de 2 milles cette nuit! On sent que l’on s’approche peu à peu de la terre mais sans la voir….

J17
Moi je pense que la Martinique elle se mérite. Olivier est allé se coucher vers 4h en me disant qu’il pleuvait un peu mais qu’il n’y avait pas de grains cette nuit. Et immanquablement un quart d’heure plus tard il pleuvait, certes, mais il y avait 30 nœuds…qui plus est je voyais une ligne blanche à l’horizon – ça ne pas être bon ça – le bouquin dit ligne blanche = grain blanc avec 30 à 40 nœuds…moi je dis « faut pas y aller » alors je change un peu de cap. Et par acquis de conscience je fais un « check radar », en effet nous sommes plus ou moins cernés par la pluie! Pourquoi me refile-t-il toujours des débuts de quarts comme ça? Comme il dit le vent s’accroît dès que je quitte ma couchette. Et c’est le même scénario presque tous les soirs. Bon mais ça s’est calmé depuis puisque je peux écrire un petit quart d’heure. Pour l’instant, nous pensons arriver demain et nous arrêter au calme au mouillage une nuit ou deux avant d’aborder Le Marin, le port, la ville, histoire de ne pas nous faire mal et profiter d’emblée de cette première île aux Antilles dont les coraux, les plages et les lolos ou restaurants de plage sont « typiques » et reposants.
Nous vivons nos derniers moments de traversée depuis hier soir, dernier apéritif à l’avant du bateau, dernier dîner – gratin dauphinois confectionné avec les dernières pommes de terre de Mindelo – il nous reste 2 citrons verts (petits punchs à l’arrivée?) et un oignon. Nous n’avons pas trop mal géré le stock de légumes et n’avons rien perdu pratiquement. La cambuse s’est d’ailleurs bien vidée mais nous pourrions encore tenir plus de 2 semaines puisque nous n’avons mangé que très peu de conserves, de riz ou des pâtes jusqu’à présent.
Pour l’heure, nous commençons à nous demander s’il fait vraiment beau en Martinique? Nous attendons l’aube avec beaucoup d’impatience en espérant commencer à apercevoir la terre.
Il s’avère que la ligne blanche était peut-être la lumière qui s’en échappait en dessous des nuages très bas jusqu’à notre arrivée. Cette dernière nav’ était pénible, nous avions 10-15 nœuds de vent qui se transformaient en 25-30 toutes les 20 minutes sous un gros amas gris survolant le bateau. Essaie de régler tes voiles dans ces conditions…c’était crevant et pour couronner mon succès à ce jeu complexe, je suis tombée à l’eau deux heures avant l’arrivée ! Nous étions en train de réduire la grand voile et la balancine s’étant coincée dans un hauban, je suis allée l’aider quand j’ai vu la bôme s’abattre vers moi – je suis tombée en évitant de me faire assommer.
Erreur bête qui se termine bien: Olivier m’a vite lancé la bouée et a réussi à me récupérer au deuxième passage, en mettant Takoumi a la cape travers au vent. Le problème quand tu tombes à l’eau, ce n’est pas de nager mais de nager avec ta veste de quart trempée qui semble peser une tonne et vouloir t’entraîner vers le fond de l’océan. Mais ça s’est plutôt bien passé cette expérience de femme à la mer. Ironiquement, ça faisait des mois que je parlais de nous y entraîner. Après ça Olivier m’a relevée de mes devoirs et nous a amenés au mouillage tranquillement. Sous la pluie plus ou moins tout le chemin. Je confirme, il ne faisait pas beau en Martinique ce jour-là. Nous sommes arrivés. Et voilà, la traversée c’est fait et je suis très très fière de cet accomplissement!
Ce matin après avoir fêté cela hier soir en buvant du champagne Mum cordon rouge, dernière bouteille datant du mariage et une douzaine d’heures de sommeil, j’ai mal partout mais je suis sereine, au calme – après la tempête. Et surtout heureuse en prenant mon café en regardant l’arc-en-ciel sur le Rocher du Diamant au loin.

2 Commentaires

  1. Flavien

    « l’instant présent dans l’aventure est primordial ». C’est beau, et tellement vrai. Bravo!

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  2. Chris et Roger

    Oui vous pouvez être fiers tous les deux.
    A propos, Roger me dit que l’oiseau solitaire qui vous tournait autour est une frégate.
    Nous avons bien regardé et même plusieurs fois le comportement de Takoumi dans les vagues. Je ne vous dis pas les commentaires du capitaine, du genre: wouahou, il passe bien les vagues, il n’enfourne pas etc… alors c’est bon, vendu !
    Oui mais c’est aussi que les marins sont excellents.
    J’apprécie beaucoup les comptes que faites, c’est hyper instructif.
    Bref, on se régale toujours autant à vous lire.

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